L’enjeu du réalignement politique

Dans la vie politique d’une société, il y a parfois des moments où l’histoire s’accélère. Où l’impression d’assister à une époque charnière est bien réelle.

Au Québec, l’élection de 2018 fut marquante. Non seulement le multipartisme apparu depuis quelques cycles électoraux fut maintenu, mais un nouveau parti a pris le pouvoir pour la première fois depuis 1976. L’alternance entre le Parti québécois (PQ) et le Parti libéral du Québec (PLQ) aura duré près 50 ans. Que représente alors l’élection de 2022 ? Au-delà des débats quotidiens, des tournées et des promesses électorales, il importe de prendre un pas de recul.

L’arrivée d’un premier gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) concorde avec un concept bien connu en science politique, celui d’une élection de réalignement. Une telle élection vient bouleverser l’ordre établi. Vincent Lemieux définissait d’ailleurs ainsi un réalignement électoral comme « une élection où l’ordre des partis change en sièges ou en voix obtenus, de nouveaux partis pouvant apparaître et d’anciens disparaître1 ». Le regretté politologue précisait d’ailleurs que « le réalignement peut aussi s’étendre sur plus d’une élection ».

Depuis plusieurs années, le paysage politique québécois se transforme bel et bien. Des partis autrefois dominants cèdent graduellement leur place centrale dans le système partisan.

La fin du bipartisme, le renouvellement des actrices et des acteurs du système politique (tant sur le plan des formations politiques que des personnes élues), la nature des enjeux politiques saillants dans l’espace public, l’évolution du nationalisme québécois ainsi que le comportement de l’électorat apparaissent comme des indicateurs d’une mutation en cours. Au profit de nouveaux partis, ces changements se sont accélérés au cours des derniers cycles électoraux. Un numéro spécial de la revue Recherches sociographiques qui sera publié à l’automne analysera d’ailleurs plus en détail ces transformations.

Avec cinq partis représentés à l’Assemblée nationale au moment de sa dissolution, nous assistons à un éclatement du système partisan québécois. Or, cette transformation ne s’est pas faite en un jour. En marge de la tenue d’un référendum sur l’avenir du Québec, l’ouverture au multipartisme s’amorce au milieu des années 1990, avec l’arrivée de l’Action démocratique du Québec (ADQ). Un premier signal laissant entrevoir un réalignement a eu lieu en 2007. Lorsque Mario Dumont devient chef de l’opposition officielle, cette troisième voie remplacera le PQ comme deuxième parti dominant. Le Québec connaîtra alors son premier gouvernement minoritaire depuis 1878. Suivra ensuite l’arrivée en Chambre du premier élu de Québec solidaire (QS) en 2008. Paradoxalement, le PQ redevient alors l’opposition officielle au gouvernement libéral, avant de diriger un autre gouvernement minoritaire en 2012. On pourrait alors parler d’une certaine période de rétablissement. Entre-temps, l’ADQ fusionne avec un nouveau parti pour former la CAQ. La troisième voie a depuis un nouveau chef : François Legault.

Cette évolution de la vie politique québécoise n’est pas désincarnée. Elle s’appuie sur la transformation de la société. Le Québec évolue, ses partis politiques aussi. De nouveaux clivages apparaissent et mobilisent davantage les électrices et les électeurs.

Le clivage Oui-Non à l’indépendance a fait place à de nouveaux enjeux plus saillants auprès de l’électorat. C’est le cas du niveau de l’intervention de l’État qui se caractérise par un débat plus classique entre la droite et la gauche. C’est aussi vrai en ce qui concerne les questions identitaires où les partis s’affrontent sur un axe multiculturaliste-interculturaliste. Il en est de même sur la question environnementale où un nouveau clivage entre la décroissance économique et un développement plus durable semble émerger.

Or, tant le PLQ que le PQ peinent à s’adapter à ce nouveau contexte politique. À la fin de la dernière législature, QS devançait même le PQ en nombre de sièges. Dans la foulée de la pandémie et de l’exclusion du caucus de la CAQ d’une députée, le Parti conservateur a également fait son entrée à l’Assemblée nationale. Ainsi, cinq partis et leurs leaders sillonneront le Québec dans un autobus de campagne.

Cela nous ramène à l’enjeu structurant de l’élection de 2022. L’élection de 2018 ne sera-t-elle qu’une élection de déviation avec un retour en force du PQ et du PLQ ? Une victoire de la CAQ confirmerait au contraire qu’un réalignement électoral s’est réellement produit et que les forces de long terme sont véritablement modifiées. Ce n’est donc pas une élection comme les autres.

1. Vincent Lemieux (2012), « Conclusion : un réalignement probable, mais sans l’émergence d’un parti générationnel », dans : Réjean Pelletier (dir.), Les partis politiques québécois dans la tourmente. Mieux comprendre et évaluer leur rôle, Québec, Presses de l’Université Laval, p. 393-404.

* Membres du Groupe de recherche en communication politique, les auteurs sont respectivement professeur en science politique à l’Université Laval, doctorante en science politique à l’Université Laval, professeur à l’École nationale d’administration publique et professeur en science politique à l’Université Laval.

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